Incarcération d’Ekrem İmamoğlu, perturbations socio-politiques et manifestations à grande échelle : quels enjeux futurs pour la vie politique en Turquie ?

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L’incarcération d’Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul, a déclenché des manifestations massives et soulève des questions sur l’avenir politique de la Turquie, marqué par une dérive autocratique sous le régime d’Erdoğan.L’incarcération d’Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul, a déclenché des manifestations massives et soulève des questions sur l’avenir politique de la Turquie, marqué par une dérive autocratique sous le régime d’Erdoğan.

Tamerlan Quliyev

28/03/2025

L’incarcération récente d’Ekrem İmamoğlu, le maire d’Istanbul, soulève des questions sur la tendance du régime politique turc à se transformer en un régime de plus en plus autocratique. Les médias internationaux ont largement diffusé cet événement. Cependant, la substance de la question repose sur les désaccords politiques qui perdurent depuis longtemps et sur les efforts du gouvernement en fonction dirigé par le président Recep Tayyip Erdoğan pour maintenir son pouvoir et conserver son autorité à tout prix. Cet article se fixe pour objectifs de mettre en lumière l’évolution de la politique et la dégradation progressive de la démocratie en Turquie.

Le mardi 18 mars 2025, la Turquie a été secouée par une nouvelle alarmante touchant des millions de personnes : l’annulation du diplôme d’Ekrem İmamoğlu, le maire d’Istanbul, par l’Université d’Istanbul en raison d’« irrégularités » liées à l’inscription et au transfert de son dossier entre deux établissements, l’Université américaine de Girne (Chypre du Nord) et l’Université d’Istanbul dans les années 1990.

Maire d’une des plus importantes métropoles en Europe, Istanbul, élu pour la première fois le 23 juin 2019 et réélu pour un second mandat le 31 mars 2024, ne peut cacher son étonnement face à cette situation. Il a exprimé ses inquiétudes sur sa page X (ex-Twitter) en s’adressant à ses électeurs stambouliotes avec ces mots : « tous les droits acquis de chacun sont en danger ! ».

Ekrem İmamoğlu a été interpellé chez lui tôt le matin du 19 mars et placé en détention préventive. Cette nouvelle a été suivie par le peuple turc grâce à un post du maire sur les réseaux sociaux, la vidéo où il se prépare devant le miroir en mettant sa cravate. Avec tout son sang-froid, Ekrem İmamoğlu déclare qu’il fera face à tout et que ces occurrences représentent une tentative d’intimidation à l’encontre de la volonté du peuple turc et de la démocratie avec ces mots : « des centaines de policiers sont arrivés à ma porte. La police fait irruption chez moi et frappe à ma porte. Je m’en remets à ma nation ». Le même jour, les médias dévoilent les motifs et les accusations portées par les autorités à l’encontre du maire d’Istanbul et de plusieurs autres membres du CHP (Parti républicain du peuple) : corruption, falsification de documents officiels et association avec des groupes « terroristes ».

En réponse à ces allégations et incidents, le CHP a rapidement organisé plusieurs manifestations qui perdurent depuis le premier jour de l’arrestation d’İmamoğlu. La première grande manifestation est réalisée spontanément par les étudiants de l’Université technique du Moyen-Orient (ODTÜ) le 20 mars, suivie par celles d’Ankara et de Bilkent. Ces rassemblements ont aussi pris une grande ampleur suite à l’appel d’Özgür Özel de soutenir İmamoğlu, une foule très nombreuse s’étant réunie devant la mairie d’Istanbul à Saraçhane. Les forces de police en Turquie déploient tous les outils possibles pour empêcher l’escalade de ces manifestations, utilisant des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc, des canons à eau et procédant à l’arrestation de centaines de manifestants pour « troubles à l’ordre public ». Cela rappelle les manifestations de contestation en Turquie en 2013 (Gezi Parkı olayları). Le 24 mars, les autorités ont interdit l’entrée et la sortie d’Istanbul en raison des manifestations.

À la suite des manifestations qui ont débuté immédiatement après l’arrestation d’İmamoğlu, le président Erdoğan a déclaré que la tentative du CHP de présenter ses disputes internes ou ses problèmes avec la loi comme la question la plus importante du pays relevait de l’hypocrisie de la part de l’opposition. Selon lui, personne n’est au-dessus de la loi.

Durant ces récentes manifestations, plusieurs événements politiques importants ont également pris place. Lors d’un de ces rassemblements, Muharrem İnce, un ancien membre du CHP qui a obtenu 30,64% des voix lors des élections présidentielles turques de 2018 (et qui a une fois encore présenté sa candidature en 2023 à la tête de son nouveau parti « Memleket », récoltant 5%), a exprimé son soutien total à Ekrem İmamoğlu pour les prochaines élections. Dans son discours, İnce a accusé Erdoğan de tenter de détruire la démocratie en Turquie.

Özgür Özel, le dirigeant du CHP, déclare qu’Erdoğan utilise ce stratagème politique pour maintenir sa position et contraindre son principal concurrent présidentiel par diverses accusations non fondées. Lors de la dernière manifestation à Saraçhane le 25 mars, Özgür Özel a interpellé le président Erdoğan et a renouvelé sa demande pour que le procès d’İmamoğlu soit retransmis en direct sur TRT, la principale chaîne de télévision d’État.

Pour résumer, nous saisissons que ce n’est pas uniquement une question d’annulation de diplôme, mais aussi de conflit politique entre les partis AKP et CHP. Par ailleurs, en vue des prochaines élections présidentielles de 2028, İmamoğlu est perçu comme le candidat majeur de l’opposition contre Erdoğan.

Depuis les récentes turbulences économiques, la livre turque a perdu de sa valeur et l’inflation en Turquie reste persistante, ce qui détériore le pouvoir d’achat des habitants jour après jour. Si on considère aussi tous ces enjeux sociopolitiques affectant la population, en particulier les jeunes diplômés qui quittent la Turquie, la situation devient vraiment complexe. L’arrestation d’İmamoğlu, principal rival politique du président actuel, renforce l’image négative du pouvoir d’Erdoğan et de l’AKP au sein d’une partie grandissante de la population. Cette conjoncture soulève des interrogations quant à l’orientation future de la politique turque.

Le président Erdoğan, qui incarne la faction conservatrice en alliance avec le parti d’extrême-droite MHP, a remporté les élections présidentielles précédentes avec plus de la moitié des suffrages exprimés. Il a depuis renforcé son emprise sur l’appareil d’État et adopté une posture de plus en plus rigide à l’égard de ses opposants, dans un contexte de règles juridiques instables qui semblent favoriser une dérive autocratique. Cette approche est critiquée par les médias européens, qui la comparent souvent aux systèmes autoritaires de la Russie et de la Chine. Il est complexe, à l’heure actuelle, de discerner si les récents évènements, arrestations et protestations qui ont réveillé l’opposition, vont ou pas changer la vie politique actuelle en Turquie. En revanche, il est certain qu’ils influenceront les résultats des prochaines élections présidentielles.

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