Coptes et musulmans en Égypte : une histoire de cohabitation complexe

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Des dynamiques sociopolitiques égyptiennes, la relation entre Coptes et musulmans oscille entre moments de coopération et tensions larvées. Nous analysons l’histoire complexe de cette coexistence, les enjeux de pouvoir qui y sont liés, et les implications pour la stabilité et l’avenir du pays.

Martin Lagarde

2/5/2025 • 7 min lire

Al-Kanīsa al-Muʿallaqan (« l’église suspendue »), l’une des plus anciennes églises coptes du Caire.

Les Coptes : naissance, religion, et rôle en Égypte

D’une population estimée entre six et huit millions d’habitants en Égypte, les Coptes constituent aujourd’hui la plus grande communauté chrétienne du Moyen-Orient. Ce terme, dérivé du grec ancien « Aiguptios », (signifiant « Égyptien »), et transformé par les Arabes par « Qubt » (قبظ) désigne les chrétiens restés fidèles à leur foi après la conquête musulmane du VIIe siècle.

Alexandrie, l’une des villes les plus importantes du monde romain et lieu du martyre de saint Marc, était l’un des cinq sièges de la Pentarchie, les principaux sièges épiscopaux de l’Église.

Le concile de Chalcédoine en 451 marqua un tournant décisif dans l’histoire du christianisme. Les décisions concernant la nature du Christ provoquèrent une profonde division au sein de l’Église. En Égypte, la majorité des fidèles rejeta les conclusions du concile, y voyant l’influence des enseignements de Nestorius. Seule une minorité accepta les décisions de Chalcédoine, donnant naissance à ce qui deviendrait plus tard le Patriarcat orthodoxe d’Alexandrie.

Cette rupture déclencha la colère de Constantinople, entraînant une sévère répression de l’Église d’Égypte par les autorités byzantines. Les « Melkites » (partisans de l’empereur) ne se contentèrent pas d’isoler l’Église copte, accusée de « monophysisme » par Rome et Constantinople. Pourtant, celle-ci affirme adhérer à une théologie « miaphysite » , héritée des enseignements de saint Cyrille d’Alexandrie (mia physis tou theou logou sesarkomene : « une est la nature incarnée de Dieu le Verbe ». Malgré cet isolement, l’Église copte exerça une influence significative sur le développement d’autres Églises, notamment l’Église éthiopienne, avec laquelle elle maintient encore aujourd’hui des liens étroits.

Au VIIe siècle, lorsque les Arabes entreprirent la conquête de l’Égypte, ils trouvèrent une population copte profondément hostile aux Byzantins. Ainsi, les Coptes virent initialement dans les musulmans des libérateurs qui les délivraient des persécutions byzantines.

Les Coptes utilisaient une langue issue de l’égyptien ancien pour leurs rituels, mais celle-ci a été progressivement remplacée par l’arabe. Jusqu’au XVe siècle, l’Égypte restait majoritairement copte, mais les conversions à l’islam, souvent encouragées par des avantages sociaux ou la pression fiscale, ont réduit leur nombre.

Inscriptions en copte et en arabe (Jean 4:14), Vieux Caire.

Les premiers architectes de l’art islamique en Égypte étaient souvent Coptes. Ils ont joué un rôle significatif dans l’histoire égyptienne, participé activement à l’émergence du nationalisme égyptien, notamment lors de la révolution de 1919 contre l’occupant britannique. Sous le règne de Mohammad Ali au XIXe siècle, ils ont obtenu des droits conséquents, comme l’accès à l’armée et à l’administration, marquant un tournant dans leur intégration sociale.

L’islamisation de l’Égypte : une transition progressive

Après la conquête arabe de 641, les premiers califes ont adopté une politique tolérante envers les Coptes, leur permettant de pratiquer leur religion en échange d’un impôt spécial : la jizya. Cependant, au fil des siècles, l’islamisation du pays s’est intensifiée.

La langue arabe a progressivement remplacé le copte et le grec dans les sphères administratives, religieuses et culturelles. Cette transition s’est accompagnée d’un développement des sciences islamiques et d’une adoption des pratiques religieuses comme le jeûne du mois de ramadan, les prières quotidiennes et le pèlerinage vers la Mecque. L’islam est ainsi devenu central dans la culture et les structures sociales du pays.

Tensions historiques et contemporaines : les moments clés

Les relations entre Coptes et musulmans ont connu des périodes de coexistence paisible, mais aussi de tensions. Comme vu précédemment, les Coptes ont au départ accueilli les Arabes comme libérateurs du joug byzantin. Cependant, en devenant une minorité religieuse, ils ont été soumis au statut de dhimmi (ذمّي), limitant leurs droits civiques.

Certains moments de l’Histoire ont exacerbé ces tensions :

  • 1910 : l’assassinat du Premier ministre Boutros Ghali Pacha illustre la montée des tensions nationalistes islamiques.
  • 1950-1960 : sous Nasser, les Coptes sont marginalisés politiquement et économiquement.
  • 1980 : le président Sadate introduit la charia comme source principale de droit, aggravant les divisions.
Le pape Cyrille VI (1959-1971),entouré de l’empereur d’Éthiopie Haïlé Sélassié et du président Nasser. Malgré une situation politique compliquée, son patriarcat est une époque de réforme et de renouveau de l’Église copte.

Récemment, le tragique évènement du 15 Février 2015 connu sous le nom de « Martyrs coptes de Libye » témoigne de la persistance des tensions entre les différentes confessions. Vingt-et-un chrétiens ont été exécutés par l’État islamique sur une plage de Syrte en Libye. Un acte cruel, illustré par une retransmission de l’exécution sur les écrans et par la réaction du public à travers un sentiment d’indignation. Le 21 février, le pape Tawadros II, annonça l’inscription des vingt-et-une victimes au rang de martyrs. Le président Abdel Fattah al-Sissi annonce, à la suite de l’attaque, la construction d’une église dédiée aux martyrs à Al-Minya aux frais de l’État.

Facteurs de tensions et évolution récente

Les tensions entre Coptes et musulmans s’expliquent par une combinaison de facteurs religieux, politiques et économiques. La montée de l’islamisme dans les années 1990, la discrimination structurelle envers les Coptes et les bouleversements post-révolutionnaires ont fait grandir ces divisions.

Cependant, depuis l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi en 2014, des mesures symboliques ont été prises pour apaiser ces tensions. Le maréchal Sissi a régulièrement exprimé son soutien aux Coptes, affirmant que « l’Égypte n’a pas de chrétiens ou de musulmans, seulement des Égyptiens ». La construction en 2019 de l’immense Cathédrale de la Nativité dans la « Nouvelle capitale administrative » en est un exemple fort.

Cathédrale de la Nativité, Nouvelle capitale administrative.

L’un des projets les plus évocateurs reste la loi égyptienne d’août 2016 concernant la construction et la rénovation des églises. Cette loi représente un moment important dans l’histoire des relations entre les autorités égyptiennes et les communautés chrétiennes. Elle visait à réformer les règles strictes et souvent discriminatoires qui régissaient jusque-là la construction et la rénovation des lieux de culte chrétiens. De ce fait, à la suite de son adoption, elle a permis de régulariser de nombreux lieux de culte et d’accélérer certaines constructions, notamment dans les grandes villes. Toutefois, la loi reste imparfaite et ne permet qu’un faible impact dans les zones rurales, où les chrétiens continuent de faire face à des obstacles bureaucratiques et sociaux.

Cette adoption n’est pas à négliger, elle démontre la volonté d’une reconnaissance accrue des droits des chrétiens en Égypte et reflète une tentative de l’État égyptien de répondre aux pressions internes et internationales pour améliorer les relations inter-ethniques. Malgré des avancées, la coexistence entre Coptes et musulmans reste marquée par des clivages géographiques et sociaux. Certains quartiers du Caire ou des villes provinciales sont presque exclusivement habités par des Coptes ou des musulmans, rendant difficile un véritable mélange des communautés. En pratique, les monastères coptes se trouvent principalement en Haute-Égypte, bien que le Caire et ses environs abritent également des lieux saints. Ces sites sont souvent situés dans des zones excentrées, voire reculées, au cœur des déserts bordant les grandes villes.

Monastère Saint-Antoine, fondé vers l’an 300 par des disciples du père du monachisme.

Une communauté parmi d’autres au Moyen-Orient

Il est important de préciser que les Coptes font partie d’un ensemble plus large de chrétiens orientaux, présents en Syrie, en Irak ou au Liban, chacun avec ses propres traditions et histoires. Leurs situations varient, mais le déclin démographique et les tensions religieuses sont des traits communs dans la région.
Plus généralement, le christianisme au Moyen-Orient est marqué par une grande diversité confessionnelle : Églises antéchalcédoniennes (Coptes, Arméniens, Syriaques, Éthiopiens), Églises orthodoxes (Grecs, Arabes), Églises catholiques orientales (Église maronite, Église catholique syriaque, Église chaldéenne) mais également l’Église apostolique assyrienne de l’Orient, issue de l’antique Église de Perse.

Cette forte disparité fait cependant face aux même enjeux majeurs parmi lesquels on retrouve la relation parfois conflictuelle avec l’islam, une démographie en déclin et une émigration croissante.

Un avenir incertain

Pour conclure, si les tensions entre Coptes et musulmans en Égypte semblent s’être atténuées ces dernières années, la coexistence reste fragile. Les divisions géographiques et les défis socio-économiques constituent des obstacles majeurs à une réconciliation complète. Dans un contexte de crises régionales persistantes au Moyen-Orient, il est difficile de prédire l’avenir de cette cohabitation. Toutefois, la situation des Coptes reflète les dynamiques historiques complexes d’une Égypte à la croisée des chemins entre diversité religieuse et unité nationale.

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