Cet article explore l’utilisation du terme biblique « Amalécites » dans le discours politico-religieux israélien, son évolution historique, et ses répercussions géopolitiques contemporaines, notamment dans le cadre du conflit israélo-palestinien.
Thomas Tronet

10/5/2024 • 3 min lire
Contexte
En novembre 2023, le titre de hip-hop israélien « Harbu Darbu » (חרבו דרבו) de Ness et Stilla est rapidement devenu la chanson la plus écoutée sur les plateformes de streaming du pays.Cette chanson, dont le titre est dérivé d’une expression syrienne signifiant « guerre et combat » (حرب وضرب) et qui évoque en argot israélien l’idée de « destruction », utilise l’expression « fils d’Amalec » (bnei Amalek / בני עמלק) pour désigner le Hamas et ses soutiens.
Le groupe musical attaque également nommément des membres du Hamas et du Hezbollah (Hassan Nasrallah et Ismaël Haniyeh, encore en vie à l’époque, ainsi que Mohammed Deïf, le chef des brigades al-Qassam) ; des personnalités internationales accusées de soutenir le Hamas (Bella Hadid, Dua Lipa et Mia Khalifa) ; et tous ceux qui dans le monde crient « Free Palestine ».
Chacun de ces noms est introduit par l’expression arabe كل كلب بيجي يومه , « chaque chien aura ce qu’il mérite ».Le texte de cette chanson fut immédiatement dénoncée comme « génocidaire » par de nombreux médias dans le monde arabe.
Nous allons nous intéresser au terme « bnei Amalek »utilisé par le groupe de rap, qui s’inscrit en fait dans une longue tradition de dirigeants israéliens invoquant les Amalécites, l’ennemi archétypal des anciens Israélites, pour représenter les menaces contemporaines.
Un terme aux racines bibliques profondes
Les Amalécites apparaissent pour la première fois dans le Livre de l’Exode, attaquant les Israélites peu après leur sortie d’Égypte. Cette attaque suscite la colère divine, et Dieu ordonne aux Israélites d’effacer la mémoire d’Amalec (Deutéronome 25:19). Dans la tradition juive, les Amalécites sont ainsi devenus le symbole de tous les ennemis d’Israël promis à la destruction, une interprétation qui a perduré à travers les siècles.
Après la fondation de l’État d’Israël en 1948, l’utilisation du terme « Amalécites » pour désigner les adversaires arabes d’Israël a connu une évolution significative. Dans les années 1950 et 1960, son usage était principalement confiné aux cercles religieux orthodoxes. Cependant, après la guerre des Six Jours de 1967, son utilisation s’est étendue à des cercles politiques plus larges.
Le Rav Kook, figure clef du sionisme religieux, a joué un rôle déterminant dans cette rhétorique, particulièrement après 1967. Cette analogie s’est intensifiée à l’extrême droite religieuse, servant à légitimer l’expansion des colonies et la violence contre les civils palestiniens.
Implications juridiques et géopolitiques contemporaines
L’utilisation récente du terme « Amalécites » par des figures politiques israéliennes a eu des répercussions juridiques internationales significatives. Le 28 octobre 2023, dans le contexte de la guerre Israël-Hamas, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu y a fait référence en s’adressant aux citoyens israéliens, déclarant :
« Vous devez vous rappeler ce qu’Amalec vous a fait ».
Cette déclaration a été citée dans la plainte déposée par l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ) pour allégations de génocide. L’Afrique du Sud a interprété cette référence comme une « expression d’intention génocidaire à l’encontre du peuple palestinien de la part de fonctionnaires israéliens ».
Le 26 janvier 2024, la CIJ a rendu sa décision dans cette affaire. Bien que la Cour n’ait pas ordonné un cessez-le-feu immédiat comme demandé par l’Afrique du Sud, elle a reconnu le risque plausible de génocide et a ordonné à Israël de prendre des mesures pour prévenir les actes de génocide.
Débats internes et perspectives futures
Face à ces défis, un débat interne s’est intensifié en Israël sur l’utilisation de telles références bibliques dans le discours politique moderne, à l’heure où les partis religieux prennent de plus en plus de place dans la vie politique israélienne. Certains leaders religieux et politiques israéliens appellent à un retour à une interprétation plus nuancée des textes sacrés.
L’utilisation du terme « Amalécites » reste ainsi un sujet de controverse, avec des implications profondes tant sur le plan national qu’international. Le débat autour de son usage reflète les tensions entre les différents courants politico-religieux en Israël.
Quant à la chanson « Harbu Darbu » de Ness et Stilla, qui fut très mal reçue à l’extérieur d’Israël, elle a valu au duo de nombreuses menaces de mort ainsi que l’interdiction de donner des concerts aux États-Unis, les autorités américaines ayant refusé en mai 2024 de leur accorder des visas, sans doute en raison de la violence des paroles de leur chanson et de potentiels problèmes de sécurité.